Au verso de ma vie: dernière partie

- février 15, 2020


« Ok mais…
- On se retrouve au Café d’Iris à 19h si tu veux bien. Je t’y attendrais. A tout à l’heure Megan, j’ai hâte.
- D’accord »

11h43. J’ai accepté l’invitation de « Ghislain ». Pourquoi Megan, pourquoi tu lui as dit oui, tu ne sais même pas qui c’est. Du moins, je ne m’en rappelle pas vraiment. Toutefois, et c’est bizarre, je me sens joyeuse. Euphorique même je dirais. J’ai envie d’appeler Hélène pour lui passer un savon et aussi en savoir plus sur cette voix qui vient de m’inviter sans trop me laisser le choix. Son téléphone sonne sans réponse. Elle a bien choisi son moment pour ne pas décrocher. Tu vas m’entendre Hélène.

Curieusement, autant j’en veux à Hélène d’avoir donné mon numéro sans mon accord, autant je suis excitée à l’idée d’aller à ce rendez-vous et de choisir ma tenue. La robe rouge que j’ai achetée la semaine dernière ? Non, j’aurai l’air d’une aguicheuse en manque. Ou mon ensemble tailleur bleu nuit hyper classe ? Megan c’est un rendez-vous, pas un entretien d’embauche . Levant les yeux au ciel, je pense que je vais m’acheter de nouveaux vêtements. J’en ai déjà beaucoup mais bon, on n’en a jamais assez !


La vendeuse au magasin me présente le nouvel arrivage de robes qu’ils ont en stock. Je flashe d’abord sur une jolie robe fleurie moulante. Elle donne l’impression que j’ai des seins énormes… Next ! Après plusieurs essayages, je commence à désespérer. Et au final, je repars bredouille du magasin. J’ai perdu un temps précieux. Pff… Retour à la maison. Finalement je ne vais peut-être pas y aller à ce rencard. Je ne sais pas quoi me mettre, ça ne sert à rien. Et puis, pourquoi mettre mes espoirs dans cette rencontre avec « Ghislain », puisque ça ne va forcément rien donner ?  Je remets mes pantoufles et je trouve un abri sous mes draps.

 La sonnerie de mon portable me réveille. Quel jour est-on ? Je me suis assoupie sans m’en rendre compte. J’essaie d’attraper mon téléphone sans devoir faire trop d’efforts. 

« Allô…
- Coucou Meg, tu as essayé de m’appeler ? Désolée, j’ai emmené les enfants à leur cours de karaté et je ne me suis pas rendu compte que mon téléphone était sur silencieux !
- Ah d’accord…
- Alors, Ghislain t’a appelé ? » 

Ah oui, « Ghislain ». Le rendez-vous à 19h. Et Hélène à qui je voulais passer un savon. Je reprends rapidement mes esprits.

«- Hélène, pourquoi as-tu donné mon numéro à quelqu’un que je ne connais pas ? Je t’ai déjà dit…
- Comment ça quelqu’un que tu ne connais pas ? Vous avez suivi les mêmes cours en 4ème et 5ème année de fac ! Il m’a abordé jeudi pendant que je prenais ma pause, disant qu’il m’avait aperçue lors de ta soutenance de mémoire. Il voulait se rassurer qu’il ne se trompait pas, alors je lui ai dit qu’en effet j’y étais et que je suis ta sœur.
- Hmm c’est vraiment curieux comme histoire tu ne crois pas ? Et puis je répète : je n’aime pas qu’on partage mon numéro ainsi !

-Ok on se calme, je suis ta sœur aînée alors essaie de baisser d’un ton. Je n’ai pas partagé ton numéro, je l’ai donné à Ghislain. Il s’est montré très poli, et avait très envie de reprendre contact avec toi. Tout ce que je te demande, c’est de grandir un peu et d’accepter d’ouvrir tes bras à la vie. Et puis qu’est-ce que tu perds ?
- … J’ai compris Hélène. Excuse-moi.
- D’accord. Ne refuse pas s’il te propose un rendez-vous. Tout ce que je fais, c’est pour ton bien, je n’ai pas de mauvaises intentions. Prends soin de toi Meg.
- Toi aussi Hélène ».

Elle avait raison. Je ne perdais rien en allant discuter avec lui. Mais est-ce qu’il n’est pas trop tard ? 18h10. On est toujours samedi… On est toujours samedi ! J’ai encore un peu de temps pour me préparer, mais je dois faire vite. Hop, sous la douche. 

Pendant le trajet vers le restaurant, j’ai essayé de me rappeler du visage de « Ghislain ». En cherchant sur Internet, j’ai retrouvé son profil. Merci les réseaux sociaux ! Ah c’est donc toi… A l’époque, on ne se parlait pas beaucoup, sauf quand on devait préparer des exposés. Il était très impliqué dans les activités de la faculté, contrairement à moi qui rentrait directement après les cours. J’étais curieuse de savoir ce qu’il est devenu, ce qu’il fait actuellement. En dehors de quelques informations sur ses goûts musicaux et ses lieux touristiques préférés, il n’en dit pas plus à son sujet sur sa page perso. Mon cœur bat plus vite. Et si le courant ne passe pas entre nous ? Devrais-je vraiment aller à ce rendez-vous ? Déjà que je suis en retard, il est déjà sûrement parti…

« - On est arrivé Madame.
-    Ah, d’accord. Merci Paul. Je vous appelle si j’ai besoin de vous pour rentrer.
-    D’accord Madame. Passez une bonne soirée, vous êtes ravissante.
-    Merci Paul, à plus tard peut-être.»

Café d’Iris, 19h37. Je ne sais pas s’il m’attend toujours, je suis quand même sacrément en retard. Mon cœur recommence sa danse saccadée.  Calme-toi Megan, reste cool. J’entre dans le restaurant en le cherchant des yeux. Une main levée à un coin de la salle interrompt ma recherche. Sa main. Pendant que j’avance vers lui, je n’arrive pas à soutenir son regard fixé sur moi. Je ne sais pas s’il a conscience de ma gêne ou s’il sourit juste parce qu’il est content de me voir. Je ne sais pas ce qui m’arrive ce soir, peut-être parce que ça fait petit bout que je n’ai pas eu de rencard.

« - Vraiment désolée je suis en retard, bonsoir…
-    Bonsoir Megan. T’inquiète, ce n’est pas grave
-  D’accord, tu as déjà commandé quelque chose ?
-    Oui, de l’eau.»

De l’eau… Il ne boit pas d’alcool ? J’espère qu’il n’est pas du genre à juger ceux qui en boivent, et qu’il ne va pas me juger.

- Il y avait une soirée afterwork hier chez un collègue et je me suis vraiment lâché sur la vodka. Alors ce soir, je préfère être en mode « light » !
-    Okay je vois. (Ouf…)
-    Tu es très belle Megan.
-    Merci « Ghislain », c’est gentil.


Il sourit. Encore. Qu’il est beau quand il sourit, je craque. Je me jette sur la carte du restaurant pour ne pas avoir à le regarder. Mon ventre émet un drôle de son comme il sait si bien le faire. J’espère intérieurement qu’il n’a pas entendu. Naturellement, je commande un plat de poulet à la crème fraîche accompagné d’une salade et un mojito. Quant à « Ghislain », il commande un bar au four sur son lit de légumes. Tout ça pour dire que le poisson est accompagné d’une montagne de carottes et de haricots verts…

-    Alors Megan, on a beaucoup de choses à se dire je crois.
-    Ah oui ?
-    Bien sûr, on ne s’est pas revu depuis qu’on a fini le cursus  de Master. Ça fait…
-    Quatre ans déjà.
-    Oui, quatre ans. C’est drôle, je n’ai pas cessé de penser à toi, me demandant ce que tu avais décidé de faire de ta vie…

Ne sachant pas trop quoi répondre sur le coup, j’ai avalé mon mojito d’un trait. Il m’a regardé d’un air amusé, et a commencé à manger son repas qui venait d’être servi. On a passé le reste de la soirée à parler de nos emplois respectifs, de sa situation familiale, de sa passion pour les voyages et les vieux films western. « Ghislain » travaille comme consultant en management pour des organismes internationaux, et est actuellement sous un contrat qui expire dans deux mois environ. Il est régulièrement en déplacement, ce qui, je ne saurais expliquer pourquoi, m’a refroidi. 

Je me suis également demandé pourquoi à 39 ans, il n’avait toujours pas d’enfant. Peut-être il n’en veut pas et préfère vivre sans engagement… Bref. Moi, j’ai principalement parlé de mon boulot, et de combien ça me passionne et de combien je suis douée. Refusant poliment d’en dire plus sur ma vie privée, je ne saurais dire exactement quelle impression il a eue de moi. Ai-je changé selon lui ? Toujours est-il qu’il a demandé si on pouvait se revoir. On verra.  De retour chez moi, je me couche directement, pensive.

De ce que j’ai pu apprendre de lui, « Ghislain » est un grand épris de liberté. Jamais plus de deux ans dans la même boîte, constamment à bord d’un moyen de transport reliant deux villes ou deux pays. Une existence nomade qui ne me correspond pas vraiment. J’aime aussi voyager quand j’en ai l’occasion, mais j’ai toujours besoin de me raccrocher à quelque chose, d’avoir une attache, une ancre. Il a eu pas mal de relations, de belles expériences amoureuses, mais n’a jamais ressenti la nécessité de dire oui pour la vie à une femme. Que voulait-il donc de moi ? Je n’avais ni le temps, ni l’envie de m’amuser. Oui, je n’ai plus une vie sexuelle très remplie, mais j’ai un très bon ami qui me « dépanne » de temps à autre. Alors s’il veut une aventure sans lendemain, non merci. Décidément, on ne peut pas dire que j’ai du bol moi. J’essaie de pleurer mais je n’y arrive pas. Alors, mon pessimisme et moi on finit par s’endormir, n’attendant plus rien du lendemain.

Les jours qui ont suivi, j’ai repris ma vie ou plutôt, ma routine, normalement. Seulement, je pensais à lui. Tout le temps.  Pourtant, je décline ses invitations, trouvant un nouveau prétexte à chaque fois.  Je fais de plus en plus appel à mon « sex-friend » qui ne rechigne pas à la tâche, peu importe le lieu ou l’heure. Rien n’y fait, j’ai « Ghislain » dans la peau. J’ai peur de cette sensation et je sais que ça ne sert à rien de commencer une relation qui n’aura pas l’issue que j’espère. Alors je me fais violence pour mon propre bien. Il a fini par contacter Hélène, par désespoir. 

Elle m’a passé un savon, me demandant à nouveau de faire preuve de maturité. Me disant que revoir « Ghislain » n’allait pas me couper un bras. Que si je ne voulais plus le voir, je devais au moins avoir la décence de le lui dire, au lieu de faire ma gamine. J’ai écouté ses reproches dans dire un mot. Et je n’ai pas changé d’attitude pour autant. Il a cessé de m’appeler et de m’écrire. Loin d’être soulagée, j’étais effondrée. Mais tant pis, c’est la vie.  Les levers et les couchers de soleil s’enchainaient, les réunions de travail se succédaient ; et le soir, seule, je noyais ma peine dans le vin blanc moelleux.
Il pleut ce vendredi. J’aime regarder ces milliers de gouttes impatientes tomber, assise près la fenêtre. Ça m’apaise. J’écoute distraitement le mini remue-ménage provenant du service Comptabilité, en pleine clôture de mi- exercice. Au moins, je ne suis pas seule au bureau tard comme c’est (trop) souvent le cas. Courage les gars… J’attends que l’averse cesse pour pouvoir rentrer. Je n’ai jamais aimé conduire sous la pluie. Ai-je vraiment envie de rentrer ? Oui, je suis exténuée.
En roulant vers la maison, je laisse ma vitre légèrement ouverte, pour sentir le vent et quelques gouttelettes me fouetter le visage. En fond sonore de cette scène presque mièvre, du rap old school dont je suis une fan de la première heure.  Je me retrouve en train de chanter à tue-tête, ce qui me vaudra un « espèce de folle » quelques mètres plus loin. Hihihi.


« -Bonsoir Megan.

Je sursaute. Qui m’attend devant chez moi à cette heure ? Cette voix…Non.

Ça fait des semaines que j’essaie de te joindre, que j’essaie de te voir. Je dois bientôt aller travailler pour une autre boîte ; au Japon…
-   Et tu penses que ça te donnait le droit de mêler ma sœur à tes histoires ?
-   Excuse-moi, s’il te plait. Mais tu ne m’as pas vraiment laissé le choix.
-   Ah. Ok. C’est aussi elle qui t’a dit où j’habite je suppose.
-    …
-    Félicitations pour ton nouveau job. Je suis fatiguée et j’aimerais entrer chez moi me reposer. Alors si c’est tout ce que tu avais à me dire, au revoir « Ghislain ».

Il essaie de me retenir pendant que j’essaie d’introduire ma clé dans la serrure. Je tente de me dégager, en lui réitérant mon envie qu’il me laisse tranquille. Je ne saurais expliquer comment, mais il réussit à m’étreindre. Et il m’arrache un baiser, que je lui donne volontiers, capitulant face à mon désir. J’aurais voulu le repousser, mais mon corps ne m’a pas obéi. Non, pas cette fois. Il s’est abandonné aux caresses de Ghislain, lui a ouvert la porte de mon appartement. Il a accepté que ses mains aillent où bon leur semble, approuvant tout, explicitement. Non, mon corps n’a pas résisté à l’odeur de sa peau, à sa douceur fougueuse. Au diable les précautions ! A présent, mon être tout entier ne s’en soucie plus. Tout ce que je veux, maintenant, c’est l’accueillir au plus profond de moi, et ne plus penser à rien. Une certitude : cette nuit restera dans ma mémoire. Oh oui, elle le restera !

Mercredi, 10h18. Je note les dernières recommandations de mon boss au sujet d’un travail que je lui ai envoyé, il y a peu. J’ai du mal à me concentrer, alors je prends une petite pause, près de ma fameuse fenêtre. Le temps est agréable, il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. Parfait. La rue est calme; il y a juste quelques passants qui marchent sans empressement.  Ça fait trois mois et deux semaines que Ghislain est parti à Tokyo. Il est content de son nouveau travail, il s’y plait. On ne sait pas exactement où on en est, on ne sait pas si on a une relation, mais on se parle régulièrement. Je ne réfléchis pas trop dessus en fait. 

Quant à moi, je suis contente d’avoir des nausées qui me font passer une bonne partie de mes journées aux toilettes. Je suis heureuse de ne plus rentrer dans une bonne partie de ma garde-robe. Emerveillée devant chaque changement de mon anatomie, même minime. Je ne serai plus jamais seule, non plus jamais. 

Oui mon bébé.  Oui, toi qui grandis en moi. Oui, grâce à toi, je ne serai plus jamais seule. Merci de donner un sens à ma vie, et de me permettre désormais d’écrire une nouvelle histoire, au recto mais aussi au verso. Je t’aime.
Maman.


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