Audrey Ekollo, pour révolutionner l'éducation au Cameroun

- janvier 27, 2020


Ayant effectué pas mal de stages dans ma vie, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes particulières. Angèle Audrey Ekollo fait partie de ces personnes dont le dynamisme ne laisse pas indifférent, et j’ai encore pu m’en rendre compte à l’issue de notre entretien. A 25 ans, cette titulaire d’un master en Audit et Contrôle de gestion a choisi la voie de  l’entrepreneuriat et est désormais gérante de la filiale camerounaise de Tootree, un réseau social éducatif. Découvrez son parcours intéressant qui, je pense, vous inspirera…
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1. Peux-tu nous raconter ton parcours professionnel ?

 J’ai eu un parcours professionnel assez atypique, d’ailleurs c’est ce que l’on me dit souvent lorsqu’on consulte mon profil LinkedIn,  parce que j’ai touché un peu à tout ce qui pouvait attirer ma curiosité, ma créativité.

Au départ j’ai commencé avec un stage en comptabilité/finance de deux mois pendant mon cycle de licence. Par la suite, j’ai été impliquée dans la junior-entreprise de mon université qui fonctionne comme un cabinet et qui offre des prestations de service à des clients particuliers et des entreprises. Donc la première année, j’ai été responsable du département Audit et Contrôle de gestion ; et par la suite j’ai passé un an en tant que coordonnatrice générale de ladite junior-entreprise. J’ai également travaillé pendant un an et demi en tant que rédactrice dans un journal.

Suite à cela, pendant un an et demi, j’ai effectué un stage professionnel en comptabilité dans une ONG environnementale et aujourd’hui je suis gérante d’une entreprise appelée Tootree qui évolue dans les technologies de l’éducation.

2. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans l’entrepreneuriat ?

J’ai suivi mon cœur, tout simplement. Aussi  loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été attirée par tout ce qui est organisation d’évènements, gestion des équipes, la mise en place de différentes activités en vue d’atteindre un but précis et la coordination des activités ; depuis mon plus jeune âge.
En réalité, je ne savais même pas que ce qui me correspondait c’était l’entrepreneuriat ; je l’ai découvert. Et je pense que c’est également parce que j’ai été confrontée à la vie d’entreprise en tant que stagiaire et employée que j’ai compris que ce n’était pas ma place. Ce qui m’a conduit aujourd’hui à trouver ma voie dans l’entrepreneuriat dans lequel je suis tout à fait épanouie et en quoi je me reconnais pleinement.


Parfois il suffit simplement de s’écouter pour avoir les réponses à nos questions. Je me suis écoutée et j’ai compris que ma place était ailleurs. En tant qu’employée, mes compétences n’étaient pas utilisées comme il fallait, et j’ai compris que je les enterrais en quelque sorte. Même si je faisais bien mon travail,  je n’utilisais pas mes capacités au maximum. C’est la raison pour laquelle après avoir quitté la vie d’entreprise, j’ai pris quand même six mois pour réfléchir à ce que je vais faire, quel chemin je vais prendre. Une période vraiment  compliquée avec beaucoup d’incertitudes, beaucoup de doutes, beaucoup de flou.
Cependant,  il faut avancer, aller au bout de l’introspection et au sortir de là,  j’ai pris une décision certes très risquée mais que je ne regrette pas et que je ne regretterai jamais quelle que soit l’issue de mon parcours.

3- Alors c’est quoi Tootree exactement ?

Tootree est un projet assez complexe à présenter parce qu’il touche à plusieurs aspects de l’éducation, donc je vais présenter la base. Tootree est un réseau social et éducatif que nous avons développé en vue d’interconnecter les apprenants tant du secondaire que du supérieur, les professeurs, les parents d’élèves et les administrations. Donc c’est  vraiment un outil qui se déploie dans les collèges, les lycées et les instituts supérieurs.  Le but derrière Tootree, c’est de permettre principalement, sur le volet pédagogique, de donner la possibilité aux étudiants de poser leurs questions de manière anonyme sur des incompréhensions.


Ça s’adresse surtout à ceux qui parfois ont peur de poser leurs questions en classe, qui ont peur que les camarades se moquent d’eux, qui ont peur des jugements. Vu que nous recréons virtuellement les salles de classe, chacun s’inscrivant dans sa classe, on leur donne la possibilité de s’exprimer ouvertement devant leurs camarades sous anonymat s’ils le veulent  et donc de pouvoir recevoir les réponses venant de leurs camarades, des ainés académiques des professeurs, des étudiants d’autres établissements. Toujours sur le volet pédagogique, on leur donne accès à une bibliothèque numérique propre à leur salle de classe où ils retrouvent les ressources liées à leur classe. Cela peut être les cours, les exposés, les anciennes épreuves, etc.

Parlant du volet purement social, avec Tootree vous avez la possibilité d’avoir accès à toute l’actualité de votre établissement, que ce soit des évènements, des informations, des simples photos postées par les étudiants, les professeurs ou l’administration. C’est vraiment le Facebook d’un établissement et pour finir, vous avez le chat pour les conversations privées pour faire connaissance, se faire de nouveaux amis. L’objectif final est de permettre à l’utilisateur de mieux s’intégrer tant pédagogiquement que socialement dans son établissement.

4- Comment est né ce projet ?

L’idée de Tootree est partie d’un constat simple qui est celui de la difficulté des apprenants à déclarer  leurs incompréhensions par rapport aux cours. Je pense que beaucoup de personnes peuvent témoigner, que ce soit par rapport à leur vécu ou celui de leur enfant, du fait que dans une classe lorsque le professeur va demander qui n’a pas compris, il n’y aura qu’une minorité qui va oser lever la main et dans la majorité des cas, ce sont toujours les mêmes qui vont lever la main. La réalité est que ce ne sont pas toujours ceux qui sont vraiment en difficulté qui lèvent la main. Parfois ce sont les élèves moyens voire bons qui vont extérioriser leurs préoccupations.

Cela constitue un véritable frein à l’apprentissage, à l’acquisition des compétences. Aller à l’école et en sortir, c’est bien beau, mais si tu ne sors pas de la avec des compétences réelles tu as perdu ton temps. Donc avoir des apprenants qui partent en classe, rencontrent des obstacles  pour comprendre et acquérir de nouvelles connaissances et compétences, qui se retrouvent dans cette situation parce qu’ils ont peur de s’exprimer, peur de ce qu’on va penser d’eux s’ils posent une question, c’est un véritable problème et c’est même un frein à nos objectifs de développement. Qui  dit développement dit ressources nécessaires pour y arriver  donc tu vois que nous partons d’une problématique de base à des enjeux très importants au niveau national, voir continental. C’est sur la base de ce constat que nous sommes partis dans cette dynamique.

5- Dans combien de pays Tootree est déployé et quelles sont tes activités au quotidien en tant que Country Manager ? 

Tootree est en déploiement dans 3 pays : la France, où est logée notre maison-mère parce qu’on est sur une approche maison-mère/filiales, la Côte d’Ivoire et le Cameroun dont est originaire la majorité de l’équipe fondatrice.

Au quotidien,  je dirais que je suis chargée du développement et du suivi de la stratégie de déploiement et d’implémentation de Tootree au Cameroun. il y a un volet relations publiques dans lequel il faut tisser des partenariats ; et ces partenariats sont dans une quantité impressionnante de domaines. Ça peut aller de l’éducation pure à des stages, la communication, des synergies avec des entreprises dont les activités ont un rapport avec la nôtre donc il y a des négociations à mener dans ce sens-là.


Il faut coordonner les activités, faire de la représentation. Cela renvoie par exemple au suivi des actions que l’on peut avoir à mener dans le cadre de la recherche de financements comme c’est le cas pour d’une start-up. C’est tout un ensemble de stratégies à mettre en place et à suivre, sinon on ne s’en sort pas du tout.

Il y a également un suivi technique, vu qu’il faut maitriser l’évolution constante de l’application, parce que non seulement il faut savoir ce qui est fait, mais il faut également savoir comment il faut en parler. L’application Tootree est en constante évolution, nous prenons toujours en compte les remarques, les retours faits par les utilisateurs. Il faut également qu’il y ait un fil conducteur avec l’équipe technique donc c’est t un suivi de proximité qu’il faut faire pour être sûrs que par exemple quand il y a des bugs c’est résolu, quand il y a des améliorations, des nouveautés, savoir comment ça fonctionne.

6- Combien de collaborateurs gères-tu ? N’est-ce pas parfois compliqué d’assurer ce rôle de leader et de devoir faire preuve d’autorité ? 

Je gère une équipe de six personnes. C’est une chose sensible parce que je n’ai jamais aimé le style autoritaire, que ce soit dans le cadre familial, scolaire, et maintenant professionnel.  Ce n’est vraiment pas celui dont je raffole.
Maintenant, ça dépend des circonstances, tout est une question de circonstances. Il faut savoir peser le pour et contre ; agir de la manière la plus minutieuse possible pour garder un équilibre entre le social et le professionnel. En fait il ne faut pas non plus que la rigidité professionnelle vienne complètement entacher le développement et le bien-être social de la personne qui travaille pour toi. Au final ça peut devenir un cercle vicieux où celui qui se sent mal peut devenir moins productif et la relation sociale va se détériorer. Donc c’est quelque chose de sensible, c’est compliqué et il fait faire preuve d’écoute, de tolérance, de compréhension ; mais également de fermeté de rigueur et d’objectivité. Tout ça à la fois. C’est vraiment un petit cocktail lol, ce n’est pas le genre de chose qu’on apprend comme ça,  il faut expérimenter cela pour comprendre et au fil des jours, on comprend et on peut ainsi appliquer certaines subtilités.

7- Quelles sont les réalisations de Tootree rendu à ce jour ?

Tootree au Cameroun, c’est une université pilote en cours d’expérimentation depuis le mois d’octobre 2019, l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC). C’est également plusieurs écoles qui ont déjà donné leur aval pour l’implémentation de Tootree, et nous partons sur 5 établissements pilotes cette année ;  des établissements secondaires et supérieurs. Nous irons progressivement vers le déploiement dans ces différentes écoles, le temps de stabiliser le premier institut pilote.


Tootree, c’est également un aval reçu de la Délégation des Enseignements secondaires de la région de l’Adamaoua pour une implémentation de cet outil pédagogique dans tous les établissements secondaires de cette région. Et enfin Tootree c’est quelques partenariats avec des institutions pour l’accompagnement et le coachig pour les étudiants ; et aussi pour des offres de stages et/ou d’emploi.
 Je vais ajouter qu’on a également un partenariat avec le Conseil national de la jeunesse, qui appuie Tootree dans ses activités de déploiement au Cameroun en général et actuellement de manière spécifique dans la région de l’Adamaoua.

8- Que penses-tu de l’importance des réseaux sociaux ? Est-ce que ça a été un outil utile pour l’implémentation de Tootree au Cameroun ? 

Oui forcément, le marketing digital a ceci de particulier qu’il engendre moins de dépenses, une diminution des charges. Aussi, il permet de donner  une portée incroyable à un projet. Parfois on se dit waouh j’ai fait 10000 vues, je n’imaginais pas cela possible. On se demande combien il aurait fallu payer pour avoir le même résultat avec les médias traditionnels, donc oui forcément les réseaux sociaux ont vraiment contribué à la vulgarisation de Tootree au Cameroun. Il s’agit d’un projet porté par la jeunesse, la jeunesse africaine, et ça a l’avantage de toucher les cœurs. Je ne peux pas dire le nombre d’aides, que ce soit sur le plan financier, des partenariats, des relations que nous avons eues grâce aux réseaux sociaux, c’est vraiment une force incroyable pour la vulgarisation d’un projet de manière générale.



9- N’as-tu pas parfois peur des défis, et qu’on ne te prenne pas au sérieux parce que tu es une femme ?
Ça peut paraitre étrange ce que je vais dire, mais lorsque je travaille je ne me perçois pas comme une femme. Je me perçois comme une personne qui  a des objectifs et qui va mettre absolument tout en œuvre du 1er au 31 pour atteindre ces objectifs. Je ne vais pas me dire je suis une femme donc ce sera plus difficile, je suis une femme donc il y a des chances que je ne puisse pas faire ci ou ça. Je suis quelqu’un qui se dit qu’elle peut tout faire. Des défis il y en aura toujours, et je vais les surmonter, c’est tout.

Maintenant oui, parfois j’ai peur qu’on ne me prenne pas au sérieux parce que je suis une femme. C’est un aspect qui est présent, surtout lorsque tu te retrouves avec des ainés. Le fait d’être une jeune personne déjà  c’est quelque chose, alors quand tu te retrouves face à quelqu’un qui peut avoir l’âge de ton père, quand il te voit débarquer dans son bureau pour lui parler de ton projet, il va d’abord te juger par rapport à ta jeunesse. Et le fait d’être une femme ne va pas vraiment jouer en ta faveur. Parce qu’à cela il va relier tout un tas de stéréotypes ; donc oui il y a parfois cette peur qu’on ne te prenne pas au sérieux.

Après, c’est à toi de gérer cela. Moi par exemple, j’ai été amenée à gérer cela par un conditionnement mental, en sachant que j’ai de la valeur et énormément de valeur, et je ne laisserai personne, qu’il ait 30 ans ou 200 ans ,lol me dévaloriser parce que je suis une femme. Ça, jamais de la vie. A côté de cela, il y a également des mesures à prendre sur le plan matériel, par exemple la posture qu’on adopte, la manière de s’exprimer et même le style vestimentaire.


Parce que tu es jeune et que tu es une femme, parfois il y aura des a priori, on va penser par exemple que tu es incompétente ; donc le vestimentaire peut contribuer à communiquer une image différente, une image responsable. C’est pourquoi je fais vraiment attention aux vêtements que je mets, pour qu’ils reflètent mon sérieux, mes capacités.

Maintenant ça ne veut pas dire que la combinaison de tous ces éléments fonctionne forcément, il y aura toujours des personnes devant qui ça ne fonctionnera pas comme il se doit. Mais à mon niveau c’est un impératif pour que tout soit ok sur le plan mental et sur le reste.
      
10- Comment fais-tu pour rester confiante et motivée au quotidien ?

Crois-moi, je ne reste pas motivée et confiante au quotidien, il y a des jours avec et des jours sans. Il y a des jours où tu veux sauter et attraper le soleil, et des jours où tu veux juste creuser ton petit trou et te coucher à l’intérieur et remettre la terre sur toi. Donc voilà ce n’est pas toujours rose.
Mais dans les moments de doute qui sont les moments les plus difficiles, cruciaux, il faut  toujours rester focalisé sur l’’objectif, la finalité. Parce que pour un projet comme Tootree, avec l’idéal que nous voulons atteindre à savoir révolutionner l’éducation, pour ainsi impacter fortement sur le développement de l’Afrique, il y a de quoi avoir des difficultés sur le chemin, mais également de quoi avoir une raison de se lever même dans les jours les plus difficiles. Même après les coups durs, je me dis  je continue, j’avance parce que je sais où je vais, je sais où nous allons tous et si nous sommes là ce n’est pas pour faire  marche arrière. C’est pour avancer, dans les tempêtes, dans les bons et les mauvais jours.

11- Quels sont les projets de Tootree pour cette année ?

Cette année nous allons continuer le chantier que nous avons commencé avec l’école pilote, l’UCAC, continuer à tester l’outil,  l’améliorer et  par la suite, intégrer progressivement les autres établissements sur la liste d’attente.
Par ailleurs, nous allons prospecter de nouveaux établissements sur la base de nos acquis bien entendu pour la rentrée prochaine. Il y aura également un effort continu sur la vulgarisation du projet à travers les différents canaux dont nous disposons. Enfin, Tootree cette année, ce sera également  l’accroissement de la base d’utilisateurs et aussi la recherche et l’obtention de financements supplémentaires, s'il plait à Dieu.

Suivez les activités d'Audrey et de Tootree sur Facebook: Tootree

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